2 ans auparavant, Michael

Le lendemain soir de la seconde visite de Julien, un coursier vint livrer en main propre à Morgan un paquet. Morgan y trouva des puces monétaires, émises par une banque de Hong Kong dont elle n'avait jamais entendu parler. Il y en avait pour une petite fortune. Une recherche sur Internet lui apprit que la banque en question était spécialisée dans l'émission de ce type de puce et pour cette raison cet organisme avait été mis sur les listes noires de nombreuses autorités qui considéraient ce type d'argent anonyme comme étant à la racine de nombreux trafics. Morgan rangea les puces dans son bureau. Deux jours plus tard, un garçon se présenta le matin, au moment où avec Lise, elles descendaient de voiture de retour de leur tour habituel de vélo dans la montagne.

— J'ai quelque chose pour vous, dit-il à Morgan, qui le dévisagea. Il semblait très jeune, vif et intelligent, tout mignon. Il portait l'attirail à la mode pour un adolescent, y compris ces chaussures couvertes de cette sorte particulière de fourrure de couleur très vive, rouge fluo en l'occurrence. Ses vêtements trahissaient une musculature importante. Comme de nombreux jeunes mâles de sa génération, il devait pratiquer le culturisme par stimulation électrique.

— Venez prendre un café.

Lise, qui avait suivi l'échange, fit non de la tête à Morgan et elle désigna les vélos, fit signe qu'elle allait s'en occuper d'un mouvement tournant de la main.

Morgan tendit la main au garçon en refermant la porte derrière eux.

— Je m'appelle Morgan Kerr.

Il serra la main en hochant la tête.

— Michael.

— Cette chose que vous avez pour moi, qu'est-ce que c'est ?

— C'est une puce de stockage de très grande capacité qui contient une partition encryptée.

— Que savez-vous de son origine ?

— Les gens qui me l'ont fait parvenir ont pris le plus grand soin à effacer toute trace susceptible de me donner le moindre indice à ce sujet.

— Oui ? Mais le procédé lui-même n'est-il pas révélateur ?

Il sourit, heureux d'avoir trouvé quelqu'un qui comprenait la situation.

— Si, bien entendu.

— Michael, j'ai besoin d'authentifier votre marchandise, venez avec moi.

Il sortit de la poche arrière de son pantalon un dispositif un peu étrange, une excroissance au bout d'une petite longueur de fibre optique, un bricolage assemblé à l'aide de ruban autocollant bleu vif. Morgan s'éclipsa pour aller connecter l'engin à Rita. Celle-ci signala à Morgan, par l'implant :

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Morgan. La signature du conteneur est authentique. La copie complète prendra dix minutes.

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Morgan prit dans le tiroir du bureau l'enveloppe avec les puces monétaires et elle revint au salon. Michael la regarda avec intensité. Elle vit qu'il était inquiet. Elle lui sourit. Prenant une puce dans le paquet, elle la lui lança. Il l'attrapa habilement au vol et regarda ce qu'il avait dans la main.

— Dix mille euros, fit Morgan, dix mille de plus si la copie se termine sans encombre.

Il tenta de garder un visage impassible, mais la surprise et une sorte de soulagement transparurent. Il prit son téléphone qui pendait à son cou et en approcha la puce, sans regarder : il avait un implant lui aussi. Il cligna des yeux, il avait vérifié le montant. Elle accéda son propre implant depuis lequel elle lui lança une séquence de contact, qui n'eut pas de réponse, preuve qu'il tenait son implant sous contrôle comme un pro. Puis il cligna à nouveau et, sans la lâcher des yeux, il émit une poignée de main virtuelle complexe, à la limite subtile de l'alambiqué, une signature numérique de hacker caractéristique. Ce type de petit bijou était semblable aux œuvres des compagnons artisans, des centaines d'heures de travail dans quelques mégaoctets d'orfèvrerie numérique. Celle de Michael était originale et audacieuse. Ce garçon avait son propre style et du panache. Morgan, qui avait l'habitude de rencontrer des jeunes dotés d'implants, pouvait apprécier la différence. Elle lui sourit à nouveau.

« Du sucre avec le café ? proposa-t-elle. Il secoua la tête.

— Non, merci.

Il regardait la puce dans sa main, c'était beaucoup d'argent pour lui. Pour Ada, quelques doses. Il pouvait se souvenir d'une époque où il se serait demandé ce qu'il allait faire de tout ce fric. Il suivit Morgan dans la cuisine. Elle lui fit un expresso dans une tasse en porcelaine translucide avec un percolateur italien, une machine à demi transparente et à demi chromée où on voyait les grains de café tomber et se faire moudre. Elle lui offrit le café et se mit à s'en faire un. Il n'y connaissait pas grand-chose en café, mais l'arome de celui-ci était extraordinaire. Il regarda autour de lui, la maison ultramoderne, la vue fantastique sur la baie au-delà de la terrasse où s'étendait la piscine. Il admira aussi la silhouette de cette femme noire, féline, gainée dans sa tenue de vélo, remarquable de calme et d'assurance. Cependant, plus que les détails, l'ensemble l'impressionnait. Il avait compris qu'il avait affaire à un personnage particulier, et il eut l'impression que ce moment était important pour son destin, que sa vie pouvait changer d'un instant à l'autre, et plutôt pour le meilleur que pour le pire. Il restait inquiet, mais il se dit que ce n'était pas ce qu'il avait craint. Elle prit sa tasse et la leva comme un toast. Il fit de même. Ils burent le café.

— Tu t'y connais en IA ? demanda Morgan.

Alors Michael comprit, il sentit comme il le comprenait, que c'était le moment qu'il avait attendu toute sa vie. Le cœur battant, il hocha la tête.

— Pas mal, oui.

Elle le regarda dans les yeux. Il avait intérêt à ne pas faire le malin avec elle. Elle n'était sûrement pas du genre à se laisser impressionner par du baratin.

— J'aurais peut-être du travail pour toi.

Il haussa les sourcils.

— Je suis preneur.

Elle hocha la tête. Elle sourit. Avec l'échantillon de tarif qu'elle venait de lui donner, qui n'aurait pas été preneur ?

— Tu as une voiture ?

Il haussa les épaules

— Je peux en trouver une.

Morgan interpréta : il était trop jeune pour avoir le permis.

— Rendez-vous demain soir dans le parking du centre commercial de la colline verte, troisième sous-sol, vingt-deux heures.

— OK.

Rita émit :

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Morgan. Copie terminée, signature vérifiée, le conteneur est intact.

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— Copie terminée, annonça Morgan au garçon. Et elle lui lança une seconde puce de dix mille euros.

— Merci.

— Fais très attention en dépensant cet argent. Tu es un peu jeune pour avoir autant de cash. Les flics reniflent ce genre de truc à des kilomètres.

Il hocha la tête. Il savait cela, il le savait très bien. Mais, elle, comment le savait-elle ?

Quand elle lui ouvrit la porte d'entrée, il se retourna :

— À demain.

— Vingt-deux heures, confirma Morgan en refermant la porte.

Elle alla s'enfermer dans le bureau et interrogea Rita par l'implant.

— Qu'est-ce que c'est ?

— De la documentation technique.

— De quoi ?

— Sur la filière de mise en orbite. En particulier sur le StarWanderer, les équipements et les procédures qui l'entourent : exploitation, maintenance, embarquement, débarquement, opérations au sol, opérations en orbite, procédures de sécurité, procédures d'urgence, équipement de contrôle, normes et procédures de vérification de la cargaison.

— Quel niveau de détail ?

— Spécifications techniques détaillées et complètes, y compris les instructions de fabrication et de montage, les procédures de test et de certification, ainsi que les archives complètes, tout l'historique de tous les équipements en service.

— Matériel et logiciel ?

— Les deux. Je ne suis pas encore parvenue à faire une estimation de la couverture, mais après avoir testé au hasard plus de deux millions de références, je ne n'en ai trouvé aucune qui manque. En fait, toutes les références qui ne sont pas incluses sont disponibles dans le domaine public.

— Alors, ce conteneur doit être gigantesque !

— Exact. Je suppose que cela explique le dimensionnement généreux de ma configuration.

Le lendemain matin, un coursier délivra un paquet. Morgan y trouva deux passeports monégasques et un passeport anglais. Les papiers monégasques donnaient à des vidéos de Morgan et d'Esmeralda des noms à consonance française. Les images étaient ressemblantes, mais les vêtements qu'elles y portaient étaient faux, ni l'une ni l'autre n'avait de tels accoutrements dans leur garde-robe. Les images avaient à coup sûr été synthétisées. Rita, après avoir examiné les documents en détail, affirma qu'ils semblaient authentiques. Une recherche sur Internet indiqua que l'existence d'une femme noire portant ce nom et vivant à Monaco n'était pas immédiatement réfutable. Quant à Lise, son identité anglaise semblait tout aussi irréprochable. Le paquet contenait aussi des puces monétaires anonymes étagées de deux cents euros à dix mille euros, une véritable fortune. Après le dîner, Morgan invita Lise dans le bureau et elle lui montra les documents et l'argent. Lise examina son nouveau vrai-faux passeport avec minutie et une attitude faite de fascination et de dégoût.

— J'espère que nous n'en aurons jamais besoin, expliqua Morgan.

— Oui, je l'espère aussi, répondit Lise en soupirant. Elle leva un regard triste vers Morgan.

« Alors, c'est fait, on ne peut plus faire marche arrière ?

Morgan secoua la tête.

— Je ne sais pas ce qui va se passer, mais en effet, on ne peut pas faire marche arrière. Ce qui est certain, c'est que je ne n'ai pas encore cédé. Quoi que ce traquenard soit, je veux en conserver le contrôle. Et pour l'instant, je n'ai rien fait d'illégal.

Lise la regarda. Morgan réfléchit et reformula :

« Je n'ai rien fait que je pense être illégal.

Lisa hocha la tête, elle comprenait, et, en même temps, elle ne voulait pas comprendre. Elles avaient été tranquilles et heureuses, discrètes et sages. Il était si insensé que l'on puisse venir détruire tout cela et qu'elles ne puissent rien faire.

La rencontre eut lieu comme prévu au dernier sous-sol du parking souterrain. Michael arriva à l'heure. Il n'était pas seul, la camionnette était conduite par une fille qui avait l'air à peine plus vieille que lui. Ces deux là étaient ensemble. Ce fut la première chose qui frappa Morgan quand ils descendirent et s'approchèrent. Elle s'étonna de faire un tel diagnostic en quelques secondes, mais c'était plus qu'une vague intuition, elle le décelait à la façon dont ils se regardaient. Ils avaient cette recherche de l'autre, calme, mais impérative. Aussi, ils allaient bien ensemble. Ils avaient la même intelligence dans le regard. Avec ses talons, l'adolescente était plus grande que le garçon. Elle avait fardé ses paupières et sa bouche du même bleu électrique que ses cheveux et avec son caraco en dentelle translucide et le bermuda assorti, il émanait d'elle un charme sensuel explosif qu'en d'autres temps on aurait probablement trouvé vulgaire. Michael la présenta d'un seul mot : Ada. Morgan ouvrit le coffre de sa voiture pour y prendre Rita.

— Je préfère qu'on prenne votre voiture, expliqua-t-elle aux jeunes.

Ada conduisit. Ils sortirent de la ville par l'autoroute du sud et s'arrêtèrent sur une aire de repos. Michael tendit une puce monétaire à Ada et lui dit :

— Ramène-nous quelque chose à boire, prends ton temps.

Comme Ada s'éclipsait, il expliqua à Morgan :

— Je préférerais qu'elle en sache le moins possible, si ça craint. Ça craint ?

— En fait, je n'en sais rien. Ça va être à toi de le découvrir. C'est peut-être du matériel militaire.

— Si c'en est, ça craint. Il haussa les épaules. Directives Anti-Terroristes et tout le bataclan, à Santa-Maria c'est la tôle garantie, à Almogar c'est pire. À moins de quarante kilomètres de la base c'est une introduction d'armes de guerre ou engins assimilés dans une zone de contrôle A.T. de classe A. Au cas où vous ne le sauriez pas, les IA au-dessus de 50 en Turing sont assimilées à des armes de guerre en classe A, sans compter les unités de chiffrage. Je connais la loi : directive de sécurité 51A, passible de la peine de mort sur le territoire des États-Unis et de la prison à perpétuité en Europe et sur les territoires sous contrôle A.T. de la coalition, ce qui est le cas pour l'astroport et cette bande de quarante kilomètres tout autour, donc à peu près les deux tiers de la ville. Mieux vaut opérer à Santa-Maria, mais ... je ne suis pas certain que cela fasse une si grande différence que cela.

Morgan haussa les sourcils. Elle hocha la tête et ouvrit la valise. Il s'approcha et regarda avec la plus grande attention, il souleva un panneau, une nappe, passa le gras de son pouce sur quelques têtes de vis.

— D'ici, on ne voit pas grand-chose, c'est du custom et ça a l'air professionnel. Très haut de gamme. L'unité de refroidissement est très grosse, donc il y a une énorme puissance de calcul là-dessous. Et cette unité de stockage, là, ça commence à chiffrer aussi. On peut ouvrir ?

— Ça, c'est le problème numéro un : d'après ce que je sais, il y a une charge d'autodestruction à l'intérieur.

Michael hocha la tête.

— Si c'est vrai, ça renifle le militaire à plein nez. Même les banques ne protègent leur IA avec des charges explosives que de façon très exceptionnelle.

— Tu saurais la neutraliser ?

— Non. C'est scellé en usine. Ça s'envoie en l'air si on démonte. En théorie, on peut attaquer aux nanobots. Mais c'est la théorie, dans la pratique... il faut voir. Je ne vais pas vous baratiner, je n'en ai jamais touché. On a tous entendu parler de quelqu'un qui aurait tenté d'en ouvrir une et qui s'est fait sauter la gueule. Une seule chose est certaine : c'est dangereux. Vous avez les moyens de vous payer des nanobots ?

Morgan hocha la tête.

— Aucun problème.

— Quelle est la puissance de la charge ?

— On m'a dit qu'elle était très faible, mais je suis méfiante.

— OK. Mais cette IA, est-elle fidèle ou agressive ? Amie ou ennemie ?

— Pas agressive, mais pas forcément fidèle, elle m'a sorti un laïus sur le fait qu'elle était d'un type expérimental. Tiens, d'ailleurs, elle s'appelle Rita.

Il la regarda. Faisant la moue, il expliqua :

— Il y a deux types d'IA militaires, celles qui sont fidèles, pour la défense, et celles qui sont agressives, pour l'attaque. Parmi les agressives, celles qui sont les plus efficaces, mais aussi les plus dangereuses, sont celles qui n'ont pas la notion d'appartenir à un camp et aucun moyen ni aucune intention de vérifier si leur champ d'action est ami. On les appelle « Ennemies ». Elles sont destinées à détruire tout ce qu'elles trouvent sur leur passage.

— Oui, je sais, le théorème de Schwartz...

— Eh oui, ce bon vieux Schwartz, on ne peut pas soulever un caillou sans se le prendre dans la gueule. Si c'est une IA agressive, je ne tenterais même pas de lui connecter ce que j'ai de mieux comme pare-feu, il y a de bonnes chances qu'elle passe à travers. Mais si c'est une Ennemie et que je déconne, il ne restera pas une unité de stockage en ligne intacte dans tout mon secteur de Santa-Maria avant que la brigade du réseau ne fasse disjoncter les liens hauts débits pour arrêter la contagion. Ces saloperies sont bourrées de vecteurs d'intrusion... et avec la puissance qu'aurait celle-ci vu la taille de l'unité centrale, elles deviennent aussi sérieuses qu'une bombe A. Vous avez entendu parler de l'incident de Munich l'année dernière ?

— Si je me souviens bien, la thèse officielle est qu'un hacker a lâché un virus très puissant.

Il secoua la tête.

— Très peu probable. Les symptômes viraux sont des effets secondaires, comme les incendies qui sont allumés par une bombe. Un virus n'aurait pas fait ce type de dégâts. Un virus se répand géographiquement plus vite qu'il ne détruit ses cibles pour une raison darwinienne imparable : il tourne sur les systèmes qu'il a infectés... Un virus qui cramerait la machine qu'il a infectée avant de s'être assez répliqué ailleurs n'irait pas bien loin. Non...

Il secoua la tête et puis il désigna le contenu de la valise d'un coup de menton.

« Munich c'était une IA. Une grosse. Je suppose qu'ils ont fini par la trouver. Ou alors, c'était un test. Mais ça, on le saura dans trente ans quand les archives deviendront publiques, si on est encore là.

Il haussa les épaules, marqua une pause.

« Alors, maintenant que vous savez ça, vous la sentez comment, votre copine Rita ?

Morgan fit la moue en réfléchissant avant de répondre :

— Rita est plutôt amicale et elle prétend être fidèle à mon égard. De plus, je suis certaine que l'objectif n'est pas la destruction massive. Par contre, je reconnais qu'il est vraisemblable que ni elle ni moi n'avons été mis au courant de tous les détails.

— Quel est l'objectif ?

— Michael, je vais faire comme tu as fait avec Ada. D'accord ?

Il hocha la tête.

— Et on peut la démarrer, votre amie Rita ?

— Ça, c'est mon deuxième problème. Il vaut mieux la laisser en sommeil, car la valise contient un mouchard qui retransmet la totalité de ce qui se passe autour.

— Sur quelles fréquences ?

— Elle a dit : sur le réseau public haut débit. C'est difficile à brouiller, non ?

— Techniquement ? Non, pas vraiment. Mais, c'est surtout un délit sérieux. Et ça transmet à qui ?

— Ça, c'est mon troisième problème.

— Sans rire ? Vous ne voulez pas m'en dire un peu plus, ça m'aiderait carrément.

— Disons que des gens me demandent de faire quelque chose pour eux et Rita m'a été fournie pour m'aider dans le job. Mais je n'ai aucune confiance en eux. Tu n'as pas envie d'en savoir plus.

Il hocha la tête à nouveau.

— Et ce mouchard, j'en fais quoi ?

— Arrête-le. Tu enlèves la charge et le mouchard.

Il la regarda en cherchant son regard.

— Elle a l'air costaude, la mère Rita ? Elle cause bien ? Vous lui mettez combien en Turing, au pif ?

Morgan secoua la tête, elle savait qu'elle n'était pas qualifiée pour pouvoir attribuer une note d'intelligence sur l'échelle de Turing.

— Elle est très crédible, elle a une jolie voix mélodieuse, une conversation rythmée et très intelligente.

— Elle comprend parfaitement tout ce qu'on lui dit ?

— Oui.

— Vous êtes pilote sur StarWanderer, comment vous la compareriez par rapport à l'IA du StarWanderer ?

Morgan répondit sans hésiter :

— Rita est plus avancée, c'est clair. Les autres IA que je connais et auxquelles je peux la comparer ne sont pas conçues pour exceller dans la communication et je n'ai pas mis Rita à l'épreuve dans d'autres domaines plus techniques.

— Vous avez parlé longtemps avec elle ?

— Assez longtemps, oui.

— Vous avez parlé de sujets sérieux ou de babioles ?

Morgan sourit.

— Nous avons parlé du théorème de Schwartz, d'où elle venait, et aussi de ma situation, de sa mission vis-à-vis de moi.

— Elle introduit des contextes nouveaux dans la conversation ?

— Oui, elle fait cela.

— Elle vous aide, elle se met à expliquer des choses spontanément et qui sont parfaitement dans le sujet ?

— Oui, elle a fait cela aussi.

— Elle a fait des remarques qui vous ont semblé avoir un contenu affectif visant à vous émouvoir ou bien à évoquer en vous de la compassion ou peut-être une autre émotion envers elle-même ou quelqu'un d'autre ?

— Oui, elle a fait cela aussi.

Il pencha la tête en haussant les sourcils.

— Joli bébé.

Il resta quelques secondes à hocher la tête en réfléchissant.

« Un autre problème que vous souhaitiez me soumettre ?

— Oui, je voudrais installer une sauvegarde, mais cette valise n'est pas équipée pour connecter une unité de sauvegarde externe.

— Exact. Et si la valise est piégée, une sauvegarde interne ne rimerait pas à grand-chose, n'est-ce pas ?

— Rita m'a dit qu'elle n'avait pas de sauvegarde. Ça avait l'air de la tracasser.

— Oui, rit-il. Ça les calme radical. C'est marrant, comment, dès qu'elles se rendent compte qu'elles existent, elles commencent à réfléchir à ça.

Ils restèrent silencieux. Dehors, Ada était en train de revenir du restaurant, un sac de fast-food à la main. Elle marchait en balançant ses hanches de façon très exagérée sur ces hauts talons, comme si elle jouait à exciter les hommes sur l'aire qui la regardaient passer. Michael reprit :

— Dernières questions. Primo : si je tente de l'ouvrir, je vais faire en sorte de ne pas être dans les parages, si vous voyez ce que je veux dire. Et je vais mettre toutes les chances de mon côté pour que ça n'arrive pas. Mais il y a un risque. Or, moi, cette Rita, je ne la connais pas. Elle ne m'a rien coûté. Elle ne représente rien pour moi qu'un truc marrant pour jouer avec. Est-ce que vous êtes certaine que vous ne préféreriez pas la garder comme ça, plutôt que de prendre le risque que je vous annonce que — oups ! — j'en ai fait plein de petits morceaux ?

— Oui, je suis prête à prendre le risque. Je n'ai pas l'intention de l'utiliser avec un mouchard pour m'espionner. Et encore moins avec une charge de puissance inconnue. La priorité numéro un est de retirer le mouchard. En numéro deux : déterminer la puissance de la charge. En numéro trois : la sauvegarde. En objectif permanent : toute information, même un petit indice.

— OK. Deuzio : vous me la laissez maintenant ?

— Oui.

— Troizio : je n'ai pas les moyens d'avancer le blé pour les nanobots, parce que j'ai déjà commencé à dépenser ce que vous m'avez donné l'autre jour. Et quatro : qu'est ce que je gagne dans cette histoire, à part le risque de faire de la tôle ?

Morgan sortit de sa poche deux puces monétaires, et les lui tendit,

— Dix mille pour les nanobots, dix mille d'avance pour toi.

Il empocha les chips et referma la glissière de sa poche. Morgan ajouta :

— Dix mille de plus à la livraison. Rien si elle est détruite.

Il lui sourit.

— C'est un plaisir de faire affaire avec vous.

— Combien de temps cela va-t-il prendre ?

— Disons que je pourrais en dire plus dans une semaine.

Morgan hocha la tête.

— Quel âge as-tu ?

— Dix-sept.

— Et Ada ?

— Dix-huit. Il fit une grimace, il la regarda avec défi en ajoutant d'une voix tendue : J'ai du mal à croire que vous faites partie de ces gens qui pensent que la valeur se mesure au nombre des années.

Morgan le regarda dans les yeux comme elle lui répondait du tac au tac :

— Non. Pas plus qu'à la couleur de la peau.

Il cligna des yeux. Elle avait failli ajouter : mais j'ai déjà vu un peu trop de petits gars pas beaucoup plus vieux que toi, bien courageux comme toi, se faire tuer pour pas grand-chose. Elle lui demanda :

« Tu te rends compte que tu prends un risque important ?

— Ne vous inquiétez pas pour moi, je sais ce que je fais.

Ada attendait à la porte, elle frappa. Michael se retourna pour regarder dans sa direction et lui fit signe de passer par l'autre côté. Elle lui tira la langue avant d'obtempérer.

— OK, fit Morgan. Sois prudent. Si tu ne te trouves pas une meilleure raison, fais-le pour Ada, elle tient visiblement à toi.